mardi 10 novembre 2015

Apprivoiser le décès de son enfant

La mort d’un enfant est un choc des plus profonds pour ses parents, plus rien ne sera jamais comme avant. Apprendre à vivre sans son enfant, « ce n’est pas effacer sa vie, ni l’amour que vous avez pour lui, c’est décider de se rebâtir », nous souffle Annick Ernoult, fondatrice de l’association.

« Apprivoiser l’absence ».
Perdre son enfant. Voir mourir l’être que l’on a mis au monde. Y a-t-il plus difficile à endurer ? Comment vivre à la suite d’un tel cataclysme ? « L’ombre qui a voilé mes yeux à l’instant de l’adieu me laissait craindre une existence privée de lumière. J’ai pensé ne plus jamais éprouver la joie. Qui pourrait encore croire au bonheur après la mort de son enfant ? Et pourtant… », témoigne Anne-Dauphine Jullian, qui a perdu sa fille d’une maladie dégénérative.
Loin des regards, dans l’intime, ces parents qui ont perdu un ou parfois plusieurs enfants, vivent au pire un drame dont ils ne se remettront pas vraiment, au mieux une rude mais profonde initiation à la vie. « Il y a en nous, au-delà de notre volonté, un processus de cicatrisation psychique qui se met en place. C’est quelque chose d’universel. C’est un long chemin de reconstruction intérieure qui laissera une cicatrice », nous dit le psychiatre Christophe Fauré, spécialisé dans l’accompagnement des personnes en deuil et auteur de nombreux livres sur le sujet.
Un cyclone de souffrance
« C’est de la souffrance à hurler, de la colère contre ce qui s’est passé. Et quelles que soient les causes de la mort de l’enfant, les parents se sentent responsables. Ils pensent qu’ils n’ont pas su le protéger, qu’ils n’ont pas rempli leur contrat de parents », nous explique Françoise Sarrazin, responsable de l’associationApprivoiser l’absence et qui a elle-même perdu son fils. De la prière pour qu’un miracle se produise si l’enfant meurt d’une longue maladie, au profond sentiment d’impuissance et d’injustice face à une réalité insoutenable. De l’anesthésie, comme une chape de plomb pour ne pas sentir la perte, à l’illusion d’une dépression qui semble sans fin. De l’obsession des souvenirs auxquels on s’accroche, à la légèreté du goût de la vie qui continue. Le chemin est immodéré pour la plupart des parents endeuillés. S’engouffrent aussi ces tonnes de questions : pourquoi lui ou elle ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi, tout court… Impossible de rembobiner le film. Le drame est là et personne n’y est préparé. En effet, le cours « normal » des choses ne prévoit pas que les enfants meurent avant leurs parents. Reflet de cette difficulté de la psyché humaine à envisager un tel événement, le langage est même à court de mot pour désigner le statut d’un parent endeuillé de sa descendance. Lorsqu’on perd une femme ou un mari, on devient veuf ou veuve, lorsque l’on perd un parent, on devient orphelin(e). Mais que devient-on lorsqu’on perd son enfant ? Alors qu’une de ces patientes lui annonce qu’elle vient de perdre sa fille, la psychothérapeute Isabelle Constant se rend compte qu’elle ne sait pas comment appeler cette mère en deuil. « Comme elle était mère d’une fille unique, ça voulait dire qu’elle allait juste redevenir une femme sans enfant, sans trace de l’existence de sa fille ». Les « désenfantés », les « mèrephelins » et les « pèrephelins » vivent un des deuils les plus difficiles sans bénéficier d’une place socialement définie.

Le temps du deuil
« Le deuil est un processus beaucoup plus long qu’on ne l’imagine, et c’est normal. » insiste fortement Christophe Fauré. Du temps, il faut beaucoup de temps. « Faire le deuil, ce n’est pas tourner la page et passer à autre chose. C’est intégrer un lien qui n’existe plus extérieurement, c’est le restaurer de manière appropriée à l’intérieur. » La relation continue mais ne pouvant plus se vivre au quotidien, elle se vit dans l’intimité de soi. C’en est fini des idées préconçues comme quoi il faut couper, oublier. Vous avez besoin de répéter les mêmes histoires sur votre enfant encore et encore ? Vous avez encore besoin de garder ses objets, son doudou, comme support extérieur à votre relation ? D’après Christophe Fauré, c’est normal. Le chemin de la relation intérieure prend du temps. Et c’est lorsque la présence de la personne que vous avez perdue trouvera sa juste place à l’intérieur de vous que vous pourrez lâcher le besoin de la faire vivre dehors. Toutefois, comme toute blessure, un deuil peut plus ou moins bien cicatriser. Et comme toute plaie, on peut plus ou moins bien s’en occuper. Il peut alors être judicieux de trouver de bons espaces d’accompagnement. « Les proches qui vous ont accompagnés finissent par en avoir marre et notre société se prend les pieds dans le tapis en vous demandant d’aller plus vite que la musique », raconte le psychiatre.« On nous fait comprendre qu’il faut se ressaisir, poursuit Françoise Sarrazin. Alors on essaie d’aller bien pour les autres, mais dedans ça continue. » Voir un psychothérapeute ? Se rendre dans une association de parents endeuillés ? D’après Lytta Basset, professeur de théologie auteur de nombreux ouvrages sur le deuil et le pardon, la souffrance à besoin d’être usée. Il faut pouvoir dire et redire.

Une ouverture à plus grand que soi
« Pour être honnête avec vous les filles, je suis totalement larguée : avec votre mort, toutes mes certitudes se sont envolées. Je ne crois pas que Dieu nous ait punis en vous prenant la vie mais j’aimerais bien trouver une explication à tout ça », écrit Anne Marie Révol, qui a perdu ses deux filles dans un incendie. Les idées toutes faites ne tiennent plus, les masques tombent, les jeux s’arrêtent. « Il y a un besoin d’authenticité, de paroles réelles et profondes. La mort d’un enfant vous change complètement », souligne Françoise Sarrazin. Et c’est évidemment là que se pose la question d’une continuité de la conscience après la mort. Si bien sûr il est compréhensible que les parents endeuillés aient besoin de se persuader de l’existence de l’être perdu, ils sont toutefois nombreux à témoigner d’anecdotes troublantes. Sur les conseils d’une voisine, Christian et Sandra Gamby qui ont perdu leur fils âgé de 16 ans, ont été voir un médium. « Ca a été bluffant, témoigne Christian Gamby. Les descriptions, les phrases, les intonations, même un très fin psychologue ne pouvait pas inventer tout ce qu’Henry Vignaud nous a dit. Dans ces moments-là on s’accroche à tout ce qu’on peut, mais les années passant, avec le recul, quand je réécoute l’enregistrement, je vois qu’il n’y a rien à jeter ». Et il n’est pas rare que des parents expérimentent spontanément ce qu’on appelle des VSCD – Vécu subjectif de communication avec les défunts. « C’est un vécu d’une présence indéniable, sans aucun des critères normalement liés à l’hallucination, explique le Dr Fauré. Et ces personnes n’ont généralement pas le désir de reproduire l’expérience. Cela se suffit en soi ». Christian Gamby témoigne : « Deux ans après le décès de mon fils, nous étions ma femme et moi sur un bateau qu’il aimait beaucoup. Nous pensions donc fortement à lui. Et à un moment donné nous avons vu comme une forme gélatineuse et transparente, d’une centaine de centimètres au dessus de nous. En fait, nous avons tous les deux vu la même chose sans même en parler ensemble. C’est plus tard que nous avons mis des mots dessus. » C’est alors que petit à petit, au cœur du deuil, les valeurs personnelles sont réévaluées et des dimensions supplémentaires sont souvent incorporées. Et sans oubli aucun, la vie continue.

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