vendredi 6 novembre 2015

Le prix cognitif de la pauvreté

Être confronté à des difficultés financières consomme des ressources cognitives, ce qui diminue la capacité à résoudre certaines tâches par la suite.
La pauvreté est rarement une vocation. La plupart des gens ayant des revenus trop faibles veulent sortir de cette condition. Mais, souvent, ils restent prisonniers de cet état et n’arrivent pas à saisir les occasions qui s’offrent parfois à eux pour améliorer leurs conditions. Au-delà des facteurs sociaux – faible niveau d’éducation, accès limité aux réseaux professionnels, etc. –, un facteur cognitif pourrait jouer un rôle dans cette situation : les difficultés financières entraînent par-elles mêmes une diminution des facultés cognitives. C’est ce qu’ont montré Anandi Mani, de l’Université de Warwick, en Grande Bretagne, et ses collègues, par le biais d’une étude « de laboratoire » dans le New Jersey et d’une étude de terrain en Inde. Selon les chercheurs, les préoccupations liées à une situation financière difficile « consomment » les ressources cognitives, limitées, ce qui conduit les individus à faire de mauvais choix par la suite.
A. Mani et ses collègues ont d’abord demandé à 101 personnes dans un centre commercial du New Jersey d’envisager des scénarios décrivant des problèmes financiers qu’elles étaient susceptibles de rencontrer, par exemple des réparations à payer pour leur voiture, et de réfléchir au moyen de les résoudre. Les participants effectuaient ensuite des tâches simples sur ordinateur, servant à mesurer leurs capacités cognitives.
Dans l'ensemble, les participants ayant un faible revenu réussissaient moins bien les tâches sur ordinateur lorsque le coût financier du problème envisagé était élevé que lorsqu’il restait modeste. En revanche, les participants ayant des revenus élevés obtiennent les mêmes scores de capacités cognitives dans les deux cas. Des problèmes financiers identiques n’ont ainsi pas le même impact sur les capacités cognitives des pauvres et sur celles des riches.
L’étude sur le terrain, portant sur 464 cultivateurs de canne à sucre en Inde, a pour sa part montré que leurs capacités cognitives varient en fonction de leurs rentrées d’argent. Ils obtiennent ainsi de moins bons résultats aux mesures de capacités cognitives avant la récolte, lorsque, faute de trésorerie, ils ont des difficultés financières, qu’après avoir récolté et vendu la canne à sucre. Les chercheurs se sont assurés que l’effort ou le stress liés à la récolte ne jouent pas dans cette diminution des capacités cognitives.
D’où vient alors cette baisse ? A. Mani et ses collègues mettent en avant le mécanisme « d’épuisement des ressources cognitives »: les préoccupations liées aux difficultés financières consomment des ressources cognitives, ce qui altère la capacité à réaliser d'autres tâches.
Ce modèle de capacités cognitives limitées s’observe dans d’autres situations : des sujets à qui l'on demande de résister à l’envie de manger des chocolats, voient ensuite leurs capacités cognitives diminuer. De même, des individus à qui l'on a demandé auparavant de réprimer des pensées négatives manifestent une plus forte proportion à dilapider de l’argent qui leur est confié.
Ces deux exemples illustrent un cercle vicieux : contrôler ses impulsions pour prendre des décisions à plus long terme épuise les ressources mentales, ce qui entraîne une baisse des capacités cognitives et l’adoption de comportements préjudiciables par la suite.
Il en serait de même avec la pauvreté : les personnes pauvres sont plus souvent confrontées à des problèmes financiers, qui demandent des décisions difficiles. L’esprit accaparé par ces préoccupations, leurs ressources cognitives s’épuisent, ce qui les conduit en retour à faire des mauvais choix : trop manger, trop dépenser, prendre des décisions irréfléchies ou extrêmes, et autres comportements problématiques qui perpétuent leur condition défavorable. La pauvreté, une double peine ?
Source : IFPEC, Philippe Ribeau-Gésippe -Cerveau&Psycho

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