vendredi 27 novembre 2015

Surdoués pour la vie

Nombre d'individus développent de forts potentiels d'intelligence sans le savoir. Dans la vie quotidienne, ils doivent gérer leur complexité. Pas toujours simple.

Ce samedi 12 octobre, ils ont décidé de se réunir dans la salle de conférence de La Manufacture, à Nantes, pour une réunion pas comme les autres. Ils appellent cela Intelligence Day. «Ils», ce sont les membres de Mensa, une association très sélecte créée à Oxford en 1946. Elle compte aujourd'hui près de 110.000 membres à travers le monde et un peu plus d'un millier en France. Pour en être membre, une seule condition: avoir un QI au-dessus de 130, c'est-à-dire faire partie des 2 % de la population considérés comme les plus intelligents. Au cours de ces réunions interviennent des psychologues, des scientifiques, des parents ayant des enfants surdoués, des adultes à haut potentiel intellectuel qui viennent raconter leurs expériences.
Les Français savent, depuis 1992, grâce à l'émission de télévision de Jean-Marie Cavada «La Marche du siècle», que des enfants surdoués peuvent rencontrer des difficultés dans un cadre de formation classique. Mais ils savent moins que la surdouance perdure et peut aussi compliquer la vie des adultes jusqu'à être vécue comme un véritable handicap. «La surdouance ne disparaît pas avec l'âge, explique la psychologue Monique de Kermadec auteur du livre de référence L'Adulte surdoué, paru en 2011 (Albin Michel). Elle a même tendance à s'accroître. L'hypersensibilité et la réactivité émotionnelle, ce souci de perfectionnisme qui peut hanter les personnes à haut potentiel intellectuel également.»
Alors que, en France, la question a été assez peu étudiée, les Anglo-Saxons s'intéressent depuis de nombreuses années à ces adultes à fort potentiel intellectuel. Des groupes ont notamment été suivis sur des décennies grâce à une étude entreprise par Lewis Terman dans les années 20. Il a repéré 1444 enfants et ne les a pas lâchés. Surnommé les «Termites», ces individus développant un QI supérieur à 140 ont été étudiés même après la disparition de Terman en 1956.
Vivre sa différence d'intelligence n'est pas toujours facile
La question qui se pose est bien sûr de savoir si tous ont vécu heureux, fait des carrières exceptionnelles… Ça n'est pas le cas. Seul l'écrivain Ray Bradbury est sorti du lot. D'autres ont eu des parcours assez chaotiques (études ratées, échec à l'université…). Ce travail scientifique a révélé quelques points essentiels. Les «Termites» ayant mieux réussi que les autres sont souvent issus d'un milieu plus évolué culturellement. «Il ne faut pas en conclure hâtivement qu'il n'y a des surdoués que dans les classes favorisées, nuance Monique de Kermadec, mais plutôt que, plus un individu est coupé d'un environnement qui lui ressemble, plus il va développer un mal-être et une difficulté à vivre sa différence d'intelligence.» C'est vrai à l'université, mais aussi dans l'entreprise et encore plus dans une société comme la France où le principe d'égalité et le formatage des cursus d'excellence pèsent lourdement sur ses brillants éléments rentrant difficilement dans les moules.
L'histoire est pleine de ces personnes à fort potentiel qui, une fois qu'ils ont trouvé leur voie, racontent les difficultés qu'ils ont traversées. La pianiste Hélène Grimaud a décrit à quel point elle a dû travailler pour imposer sa différence. Son génie, bien que révélé dans le domaine de la musique - elle a été reçue première à l'unanimité à l'âge de 13 ans au conservatoire de Paris -, n'a pas totalement canalisé ses difficultés sociales. Elle passe de longs moments loin du monde avec ses amis les loups. «Ce sont eux qui m'ont socialisée, dit-elle. Ils m'ont appris à vivre dans le moment, ce que je n'arrivais pas à faire avec les hommes.» L'actrice Jodie Foster, surdouée reconnue, a aussi témoigné à travers sa fiction, Le Petit Homme, de la difficulté de s'intégrer. Jacques Attali, sorti major de Polytechnique avec des résultats impressionnants, ne cache pas non plus que son potentiel, révélé au lycée, l'a singularisé aux yeux des autres. Quand on lui demande s'il se reconnaît des dons particuliers, il a, comme beaucoup de personnes à haut potentiel, tendance à les minimiser. L'homme est capable de diriger un orchestre à ses heures perdues et dit tourner les pages de la partition dans sa tête… Avant d'ajouter, comme pour se dédouaner, qu'il n'a pas l'oreille absolue et qu'il n'a donc rien d'un génie.
Un projet mondial pour comprendre le cerveau
Assumer leur différence, c'est la grande difficulté de ces personnes à haut potentiel intellectuel. La science parvient aujourd'hui à analyser quelques paramètres de cette hyperintelligence sans pour autant pouvoir tout expliquer. «Du point de vue génétique, il est impossible aujourd'hui de savoir si la surdouance se transmet, affirme le docteur Bernard Sablonnière. En revanche, des études réalisées grâce au développement des IRM (imageries par résonance magnétique) ont permis de localiser des activations particulières du cerveau. Richard Haier, de l'université Irvine, en Californie, a identifié un réseau de connexions bien individualisées chez ceux qui obtiennent de très bons résultats aux tests d'intelligence. C'est dans la rapidité et l'efficacité des connexions entre les neurones que semble se nicher la performance intellectuelle de certains individus.»
Un projet mondial appelé Connectome Humain, qui vise à regrouper les résultats de 35 centres d'imagerie à travers le monde, a débouché sur des informations très intéressantes allant dans ce sens. Elles ont révélé que, si les mêmes régions du cerveau se mettent à fonctionner chez tous les individus quand il s'agit de réfléchir, la vitesse de l'échange des informations entre les différentes parties du cerveau diffère suivant l'âge mais aussi l'étendue des connaissances, l'état émotionnel ou la capacité de concentration.
Chez certaines personnes l'intelligence se révèle une véritable pathologie, comme l'écrivain et poète Daniel Tammet, qui souffre du syndrome d'Asperger et développe des capacités de synesthésie permettant, par association, de développer des capacités hors du commun. Daniel Tammet parle 12 langues et a appris l'islandais en une semaine. Il a une fascination toute particulière pour les chiffres. Ils lui ont permis de se sociabiliser, affirme-t-il. Dans son ouvrage autobiographique Je suis né un jour bleu, il résume sa philosophie de vie: «L'important n'est pas de vivre comme les autres, mais parmi les autres.» Une pensée que reprend la psychologue Monique de Kermadec: «Ces personnes ont une véritable quête de sens et il est essentiel qu'elles arrivent à trouver leur chemin. Elles peuvent vraiment enrichir le monde si on leur donne toute leur place et si on accepte leur différence.»
figaro.fr
photo : L'actrice Jodie Foster se définit comme une «ruminatrice obsessionnelle».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire